Nostalgie des perdus. Lettre de la petite bleue.(Ecrit par Jean-Philippe Delmarle)

Lettre de la petite bleue. (Ecrit par Jean-Philippe Delmarle)

Cher Patron, je prends ma plus belle plume afin de te donner quelques nouvelles d’Espagne, de Barcelone plus précisément... Cela doit faire huit ans que je me suis installée ici, juste depuis cette satanée blessure qui m’a endommagé l’aile droite et qui m’empêche de tenir l’air plus d’un quart d’heure... Par le passé, j’ai essayé, bien des fois, de me remettre en route pour venir retrouver ma Belgique natale, mais j’ai dû y renoncer, j’en ai abandonné l’idée désormais... Je n’ai pas à me plaindre de mes conditions de vie. J’ai trouvé refuge sous les combles d’une petite église, pas trop loin du centre de la ville, l’exposition y est idéale et me rappelle mon pigeonnier. Il fait chaud ici, très chaud en été, mais par chance, une petite fontaine ne se trouve pas trop loin. Je peux m’y désaltérer et y plonger aux heures les plus torrides. Mes voisins étaient bien curieux au début. Mes bagues les intriguaient, celles en caoutchouc ont fini par tomber avec le temps. Ils ne cessaient de me poser des questions sur mes origines et pensaient que je faisais partie de la noblesse. Ils sont un peu sauvages, mais bien sympathiques. Je n’osais trop les approcher au début, mais avec le temps tout s’est arrangé. J’ai même fondé une petite famille. Un beau mâle bleu s’était amouraché de moi, il me rappelait beaucoup le « Grand Bleu » qui enleva tant de victoires au pays. Comme moi, il est bagué et devait revenir de Perpignan à ce qu’il m’a décrit quand je l’ai rencontré. Nous avons eu quelques petits, mais désormais je ne peux plus pondre, l’âge a fait son œuvre. J’espère que tu es toujours aussi content de mes descendants, ceux que j’ai eus avec le « Grand Bleu » te convenaient particulièrement, je crois. Tu sais, tu ne dois rien regretter, ce n’est pas ta faute si je me suis égarée. Certes, j’étais un peu âgée, à sept ans tu aurais pu me garder à la maison, mais j’ai souvent entendu dire de mes ancêtres au colombier d’élevage que les pigeons qui volent bien le grand fond risquaient, plus que les autres, de ne pas finir leur vie au pigeonnier. Non, tu ne dois rien regretter et ce n’est qu’à cause de cette vilaine blessure que je n’ai pu revenir pour la cinquième fois de Barcelone. Régulièrement, j’ai des nouvelles du pays, l’un ou l’autre pigeon de passage vient nous raconter la vie en Belgique. Ce n’est pas bien joli ces nouvelles grandes bagues noires que vous leur mettez à la patte à présent. Une petite écaillée qui s’était trompé de chemin en retour de Marseille nous en a raconté de bien bonnes. Il paraît que les voyages sont désormais organisés en camions! J’aimais bien l’ambiance dans les wagons. Mais elle m’a dit que le confort y était grand et que certains camions étaient équipés de la climatisation. Elle m’a expliqué que les concours deviennent de plus en plus difficiles et que le temps vous joue des tours pendables. Il est vrai qu’il doit faire bien dur de voler sous ce soleil de plomb. Heureusement qu’ici il y a beaucoup d’ombre. Elle m’a aussi parlé de ces maladies bizarres qui font des ravages parmi les plus jeunes. Souvent, nous en parlions entre nous dans les paniers et nous étions sidérées de voir l’état de certains pigeons qui semblaient sous l’effet de drogues, tellement ils étaient excités. Ils étaient même devenus vulgaires et nous pensions qu’ils avaient dû ingurgiter quelque chose pour avoir changé à ce point. Nous ne parvenions plus à les suivre et dès que les paniers étaient ouverts, ils fonçaient comme des malades. Il n’est pas étonnant que cette folie déteigne sur leurs enfants. La petite écaillée m’a dit qu’un de ses compagnons de voyage venait du Tournaisis et lorsqu’elle est repartie au pays, je lui ai demandé de saluer au passage cette belle région que j’appréciais tant. Bon, je vais te laisser à présent. Avec mon compagnon, nous avons décidé de nous rendre dans un champ voisin, il paraît que la récolte de céréales y est prévue. Nous allons pouvoir reprendre un peu de poids, le régime n’est pas toujours très riche ici. Heureusement que les touristes pensent à acheter quelques graines de temps à autre. Remets le bonjour à tout le monde au pays et particulièrement au «Grand Bleu». Je suis certaine qu’il est encore chez toi, même s’il doit avoir quinze ans à présent. La «Petite Bleue». (Texte de Jean-Philippe Delmarle)

A voir ici avec de la musique: http://richard.adamczak.perso.neuf.fr/luh/cherpatron.htm

@+Gilbert

elle est déjà parue sur pas mal de sites mais c est pour moi le plus bel hommage qui ait pu être ecrit sur les pigeons voyageurs ,il a du talent le jean philippe..

Effectivement deja lue et enttendue plusieurs fois
mais combien émouvante a chaque lecture Merci a jean philippe